mercredi 28 janvier 2015

Le citoyen et les religions



Café philo, novembre 2014.
La religion constituerait le premier lien social entre les hommes  ( Machiavel, discours sur le première décade de Tite Live): les valeurs de la Cité sont celles de la religion, et il faut entendre par là de l’interprétation des textes religieux, ou de rites établis par les hommes de religion.
La condamnation officielle de Socrate repose sur l’accusation fallacieuse d’impiété. Dans la Grèce antique, la vie de la Cité, aux mains des citoyens, demande aussi que l’on rende un culte aux mêmes dieux. Le droit naturel classique (Aristote mais aussi Montesquieu) présuppose des lois absolues qui sont soit des lois divines (Torah, Coran) supérieures à toutes les autres lois positives humaines, soit simplement des principes valides même si les dieux n’existaient pas (c’est la thèse de Montesqieu).
Cette sacralisation du droit sera battue en brèche par exemple par Epicure ou par Nietzsche : le droit devient un système relatif de lois qui ne sont pas invariantes mais qui ont une utilité pour une société donnée à un moment particulier er reposent sur le consensus des citoyens.
Pendant la période de Renaissance un nouveau concept de la nature du monde est élaboré : la terre tourne autour du soleil, la scolastique du Moyen âge et la philosophie d’Aristote ne tiennent plus, il n’y a pas un monde supra-lunaire parfait et un monde sublunaire corrompu.
Giordano Bruno soutient la thèse de l’infinie pluralité des mondes aux environs de 1580. En opposition avec la Bible il le paiera de sa vie.
Pascal s’interroge sur le centre de l’univers et sur sa périphérie : les espaces infinis l’angoissent, mais, Janséniste, il propose la foi comme source des certitudes morales, nécessaires à la vie pratique. La constitution de l’ordre politique est un effet de la contradiction entre les deux natures de l’homme : crée par Dieu, mais imparfait après le péché originel.
La notion de citoyenneté sera éclipsée jusqu’à la révolution française, mais pour autant les philosophes (Machiavel, Hobbes…) débattent du politique et de son lien avec la religion et avec le sacré, notamment en terme de champ de pouvoir.
Spinoza : Traité théologico-politique (1670)
Il se propose dans cet ouvrage 3 buts :
  • Détruire les préjugés des théologiens qui privent l’homme de sa liberté de penser
  • Se défendre des accusations d’athéisme portées à son encontre : il défend en effet l’usage de la seule raison dans l’exégèse biblique. Il retient de la religion l’éthique qu’elle préconise
  • Il défend la liberté d’expression de l’opinion de chacun.
Théologie et politique se rencontrent dans leur rapport à la raison : c’est elle qui doit fixer les limites du pouvoir des théologiens tout les comme les limites du pouvoir de l’Etat. Spinoza veut montrer que la liberté de philosopher est nécessaire à la piété (ch 1 à 15), tout comme est nécessaire à la sécurité de l’Etat (ch 16 à 20).
Deux points particuliers dans son œuvre :
  • Ch 19 : il distingue le culte intérieur, foi, croyance, qui appartiennent à l’individu du culte extérieur qui doit être encadré par l’Etat sous peine de risque de division
  • Ch 20 : « Dans une libre république il est permis à chacun de penser ce qu’il veut et de dire ce qu’il pense »
Tout comme chez Hobbes aucun dieu n’est nécessaire à la création de l’ordre social.
Locke, dans sa « Lettre sur la tolérance » (1997) et « Différence entre pouvoir ecclésiastique et pouvoir civil ». (1674), distingue croyance et culte. La religion fait partie de la sphère privée de l’homme et Locke fait réflexion sur la nature de l’autorité politique. Si la conscience de chaque individu est la seule mesure de ses actions toute autorité politique devient impossible. Sur la croyance le magistrat ne peut rien, mais il n’en n’est pas de même pour le culte extérieur, à savoir les pratiques cultuelles qui sont pour lui indifférentes à Dieu et qu’il nomme « choses indifférentes ». Il reste à déterminer le champ du pouvoir divin. Tout ce qui dans un culte ne fait tort à aucun membre de l’Etat peut être permis, tout ce qui est permis dans l’Etat doit être permis dans l’Eglise, tout ce qui est défendu dans la société civile doit être défendu dans l’Eglise. En cas de conflit, il préconise d’agir selon sa conscience et d’en supporter les conséquences.
A l’inverse de l’Etat auquel le citoyen a devoir d’appartenance en vu de la conservation et de l’avancement des intérêts civils de tous, l’Eglise est une association volontaire où chacun cherche le salut de son âme.
Pendant toute cette période la parole divine renvoie :
  • A un concept de l’univers : affaire Galilée
  • A la vie réelle de l’homme : ou déjà tout est réglé par une foi donnée par la divinité, par la providence, etc. Quelle est alors la place de la liberté de penser, de la responsabilité politique partagée. Comment penser les découvertes et ce qu’il est usuel de nommer le progrès des sciences ? Comment penser les multiples morts au nom d’un dieu ?
Rousseau :
Il pense que la religion est à l’origine de la fondation sociale, tout comme Machiavel : ici la religion est un moyen de l’union. A ce titre elle peut être au service du politique.
Il crée le concept de religion civile qui unit les hommes et préserve la liberté de conscience : doit-on voir ici la naissance d’un « sacré républicain » ?
Toutefois à chaque fois que l’on croise chez les philosophes, « le devoir de conserver sa vie » (Rousseau, Locke) vient s’articuler la question : « la nature de l’homme est-elle religieuse ? » ; Si la réponse est oui, l’ordre social peut légitimement reposer sur des normes religieuses.
La révolution française constitue un tournant.
La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, sera le socle de toutes les constitutions depuis celle de 1791 jusqu’à celle de 1958.
Art 10 : «  Nul ne peut être inquiété pour ses opinions même religieuses pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre publique établi par la loi ». Cette opinion appartient à l’individu mais il n’est jamais dit qu’elle devrait ou pourrait constituer le fondement du vivre ensemble.
Art 11 : libre communication des pensées et des opinions.
La religion est clairement une affaire privée. L’interprétation des textes religieux varie selon le temps et le lieu.
L’histoire des constitutions montre que l’origine de l’autorité est régulièrement débattue. Quelle place pour un être suprême ? «  L’assemblée nationale reconnait et déclare, en présence et sous les auspices de l’être suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen… » Quelle est la portée de cette déclaration : instaure-t-elle une société laïque ou impose-t-elle de repenser le lien entre la religion et l’Etat ? On retrouve dans le préambule de la déclaration « les représentants du peuple français…. ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme ».
Ici l’individu acquiert des droits, une certaine forme de pouvoir, même si tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Au fil du 19e siècle et du développement industriel, on verra naître le catholicisme social, mais en 1884, le droit de grève sera acquis contre la volonté de l’Eglise. Les écoles deviendront publiques et non confessionnelles. Le darwinisme ranimera des querelles encore d’actualité.
Comte dans sa philosophie positiviste, définit l’âge théologique comme une étape vers l’âge positif, accomplissement de l’homme.


La loi du 9 décembre 1905 instaure la séparation des églises et de l’Etat. Elle fonde un régime de laïcité. Elle ne s’oppose pas aux religions, elle autorise les émissions religieuses, radio ou télévisées, elle autorise les aumôneries dans les établissements scolaires, les hôpitaux : elle garantit la possibilité d’exercer sa religion dans le respect de l’ordre public. Il persiste l’exception de l’Alsace et de la Moselle qui n’étaient pas françaises au moment de la loi, les ministres du culte y sont fonctionnaires et l’enseignement religieux fait parti du programme scolaire des établissements publics.
La loi du 15 mars 2004 encadre le port des signes religieux dans les établissements scolaires. La loi du 11 octobre 2010 interdit la dissimulation du visage dans l’espace public.
Le monde religieux se comporte comme un monde clos. Le but de la religion est-il de conformer toutes action humaine aux paroles d’une révélation, d’être une école de la soumission ?
Les principales vertus ne sont-elles pas dans la religion catholique l’obéissance et l’humilité, ainsi que la foi, l’espérance et la charité, condition d’accès à un monde meilleur après la vie ? Les religieux s’inscrivent en dépositaires de la parole divine et s’attribuent la responsabilité de mener les hommes vers dieu par les voies qu’ils ont choisies. La religion définit une certaine forme de société hiérarchisée et pyramidale
L’homme existe-t-il tel qu’il nait ou tel qu’il se produit ? La liberté politique de l’individu ne va-t-elle pas de pair avec sa liberté de conscience ? La laïcité reposerait sur la loyauté et la probité intellectuelle.
L’Etat s’il veut survivre doit se comporter en monde ouvert : quelles sont les valeurs qui vont le régir dans cette ouverture ? N’aurions-nous plus qu’une seule idée commune, une seule koïnè comme l’écrit H Arendt qui se nommerait aujourd’hui « monde de l’économie » ?
Les décisions d’ordre politique n’appartiennent plus à un roi d’ordre divin, elles appartiennent à un appareil exécutif de l’Etat : le 20 e siècle a crée la notion d’Etat Providence. L’Etat se présente comme une autorité supérieure qui doit protéger les hommes.
Ce qui se pose alors c’est le problème de l’autorité de l’Etat par rapport au citoyen : le citoyen est-il encore la source de sa propre loi par députés interposés ? Comme le montre C. Taylor, dans « La liberté des modernes », « l’exercice libre des facultés morales de l’individu entraine un pluralisme moral et politique ». Il reste à savoir si c’est l’Etat qui impose ses valeurs, quitte à ce que ce soit celles des dirigeants, ou si c’est l’individu par ses capacités critiques de jugement qui garantit les valeurs du vivre ensemble. N’a-t-on pas crée de nouvelles structures hiérarchiques pyramidales aussi efficaces que la religion ; quelle place pour les énarques, les experts… ?
Il reste encore à penser l’espace de pouvoir des religions et la place octroyée aux rites publics dans le contexte de notre histoire commune. A-t-on encore le courage politique d’affirmer notre histoire ? Tout se passe comme si il existait une pensée officielle, à laquelle de nombreuses « élites » semblent adhérer, politiquement correct oblige !
Bibliographie
Taylor, La politique de la reconnaissance ; multiculturalisme, Aubier, 1994
Spinoza, Traité théologico politique, Flammarion GF, 1966
Hobbes, Léviathan, Sirey, 1965
Locke, Lettre sur la tolérance, GF Flammarion, 1992
Scubla L., les dimensions religieuses de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, revue Ateliers, n°27 p.81 -108.
Forget P., Du citoyen et des religions, Berg, 2013.
Podcast de l’émission de France culture : Culture d’Islam, d’Abdelwahab Meddeb (décédé en novembre 2014)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire